A cause d'instabilité au Burkina Faso, l'accès à l'eau potable et à l'assainissement est faible dans le Sahel et le Nord.
Published on: 16/04/2019
Par Salmata DIALLO
Le Sahel et le Nord burkinabè sont fréquemment évoqués dans les journaux du pays depuis, l'enlèvement du Docteur Elliot dans la ville de Djibo, le 16 janvier 2016. Depuis cette date, les multiples attaques, la succession d’enlèvements et la désertion des services étatiques menacent le secteur de l’eau et de l’assainissement et par conséquent handicapent tous les services sociaux de base de zones jadis vulnérables. Une étude faite par IRC Burkina, a permis de faire l’état de l’AEPHA (approvisionnement en eau potable, hygiène et assainissement) et de sa corrélation avec les autres services de base en vue d’accompagner les acteurs locaux dans leur plaidoyer auprès des autorités burkinabè pour la sauvegarde de ces services essentiels.
Renforcer la résilience des communautés, des ménages et des individus vulnérables à l’insécurité alimentaire et nutritionnelle dans les zones frontalières les plus touchés par l’instabilité au Burkina Faso (le Nord et le Sahel) et au Mali est l’objectif du programme LRDD (Link Relief, Resilience and Development). Financé par les fonds fiduciaires de l’Union Européenne, il est né du constat que la mise en œuvre d’approches conjointes entre humanitaire et développement permet de mieux maîtriser les crises conjoncturelles.
Dans les provinces du Soum et du Lorum, les communes de Tongomayel, Nassoumbou, Baraboulé et Bahn ont été la cible de multiples évènements violents perpétrés par des groupes armés. Cette situation rend difficile l’action des ONG et des services de base rendus par l’Etat dont le personnel est ouvertement menacé. Pourtant les populations, qui continuent de vivre dans ces zones malgré tout, ne peuvent pas être abandonnées à leur sort face à la dégradation de leurs niveaux d’accès à ces services sociaux de base déjà fragiles. C’est dans ce cadre que IRC Burkina a mené une étude en décembre 2018 pour faire l’état de la situation et accompagner les autorités locales dans un plaidoyer pour le maintien de la délivrance des services sociaux de base, essentiels à la survie des populations les plus vulnérables.
L’accès à l’eau potable et à l’assainissement est faible dans le Sahel (50,0% dans la commune de Djibo, 67,4% dans la commune de Kelbo, 64,04% dans la commune de Pobé-Mengao et 44, 48 % dans la commune de Tongomayel) et le Nord (79,3% dans la commune de Ouindigui et 66,3% pour la commune de Titao selon les données des services techniques eau et assainissement des différentes communes). De nombreuses initiatives avaient été entreprises par le gouvernement et les ONG pour améliorer cette situation, à travers la réalisation d’ouvrages d’eau et d’assainissement et la mise en place d’un système de gestion de ces ouvrages pour garantir l’entretien et la durabilité. Cependant, ces efforts sont sur le point d’être anéantis par la situation sécuritaire. En effet dans la commune de Tongomayel, de nombreux ouvrages ont été abandonnés, dans plus d’une vingtaine de gros villages. Les habitants ont fui les violences laissant ces villages déserts et les infrastructures abandonnées ou sans aucune forme de maintenance. Au même moment, la commune de Djibo a accueilli sur son territoire près de 30 000 déplacés en un trimestre (la population de Sè dans la commune de Djibo a doublé) pour une population initiale de 82 270 habitants. Cette commune doit satisfaire maintenant les besoins d’une population augmentée de 36% avec son parc hydraulique de 184 forages équipés de pompes à motricité humaine (PMH) et de 17 systèmes d’adduction en eau potable simplifié (AEPS) qui suffisent à peine pour couvrir les besoins de 63 700 personnes.
La situation est semblable dans la commune de Pobé-Mengao qui doit accueillir de nombreux déplacés, difficile de recenser, au sein de la population de 24 000 habitants avec son parc hydraulique constitué de seulement de 119 PMH et 14 bonnes fontaines réparties dans 15 villages qui garantissaient l’accès de seulement 69,5% de la population à l’eau potable.
Les déplacements massifs des populations réduisent fortement le taux d’accès à l’eau potable et à l’assainissement. Sous l’effet d’une arrivée massive de déplacés, le nombre de ménages par PMH augmente (pour dépasser 50 ménages par PMH) et la distance moyenne entre ménage et PMH s’agrandit au-delà de 1000 m certains points d’eau sont à plus de 7 kilomètres des habitations du village de Gnamanga, dans la commune de Pobé-Mengao). De plus la pression sur les ouvrages et les longues files d’attente vont entraîner la dégradation rapide des ouvrages et entraver la possibilité d’assurer à chacun la quantité de 20 litres/habitant/jour. Malheureusement la vulnérabilité des déplacés ne leur permettra pas de contribuer à la gestion des pompes à motricité humaine. La pression sur les ressources en eau sera si forte en période de chaleur que les populations risquent de consommer l’eau non potable du barrage de Djibo. Pire cela entraînera probablement une augmentation des conflits au niveau des points d’eau, entre les usagers. De même les ouvrages d’assainissement n’ont pas augmenté alors que la commune de Djibo a reçu 30 000 personnes en plus.
Les utilisateurs des ouvrages disponibles par personnes seront vite en surnombre et le nombre de ceux qui pratiquaient la défécation à l’air libre va accroître. L’absence de structures chargées de la vidange et l’inexistence de centre de traitement des boues de vidange va accentuer le développement des maladies hydriques tels que la diarrhée et le choléra, les hépatites virales, les dysenteries etc.
Les patients souffrant de maladies liées à l’eau telles que la diarrhée, les dysenteries, les hépatites virales et la fièvre typhoïde etc. occupent 95 % des lits des hôpitaux des pays en développement tel que le Burkina Faso. Il est évident que les avancés dans le domaine de la santé au Sahel et au Nord vont souffrir de la nouvelle situation de l’AEPHA. En effet les populations vont plus solliciter les ouvrages d’eau institutionnels parmi lesquels les ouvrages des CSPS (Centre de Santé et de Promotion Social) et des écoles. Les agents de santé de la commune de Pobé-Mengao sont déjà obligés de s’aligner au même titre que les populations pour puiser l’eau à la PMH du CSPS pour le nettoyage, les soins des patients et même les accouchements à la maternité.
Cette situation antérieure à la situation sécuritaire va empirer avec l’arrivée des déplacés. L’accroissement des maladies hydriques et des patients va rapidement épuiser les stocks de médicaments et essouffler le personnel soignant dont l’effectif n’a pas été renforcé. Le nombre de décès risque d’augmenter dans les centres de santé.
La situation du secteur de l’éducation, la situation mise en évidence, en décembre 2018, n’est pas plus réjouissante. La totalité des écoles dans les communes de Tongomayel et de Kelbo étaient fermées. Ce sont 227 écoles publiques fermées et 17 brûlées et/ou saccagées dans la province du Soum. La Direction Provinciale de l’Education Préscolaire Primaire et Non Formelles du Soum assiste impuissante à l’allongement de la liste de classes primaires et post-primaires qui se ferment.
Les quelques écoles restées ouvertes dans quatre secteurs de Djibo ville et dans le Lorum accueillent dans leurs classes les élèves qui ont fui les violences et qui veulent poursuivre leur scolarité. Pourtant ces établissements ne reçoivent aucune aide pour augmenter leurs capacités d’accueil (ouvrages d’eau et d’assainissement). L’hygiène et l’assainissement sont par conséquent dégradés dans les écoles et compromettent l’ODD 4.
En plus des maladies hydriques, il faut donc s’attendre à ce que la scolarité des filles soit comprise du fait de l’insuffisance de toilettes pour leurs besoins et de la gestion de leurs menstrues dans cette zone où elles sont très pudiques du fait du contexte culturel. L’insuffisance des points d’eau et les longues files d’attente pour la collecte d’eau sera un facteur aggravant la déscolarisation des filles.
Dans de nombreuses études, il ressort que 50 % des cas de malnutrition sont associés à des infections ; à des conditions d’hygiène insuffisantes ou à l’insalubrité de l’eau et à l’inexistence de l’assainissement. Plusieurs pathologies liées au AEPHA ont un impact sur l’état nutritionnel et conduisent à la malnutrition chronique ou aigüe des enfants. Ainsi les diarrhées d’origine fécales entrainent une forte déshydratation qui à son tour provoque une malnutrition très rapide chez l’enfant de moins de cinq (05) ans.
A ce jour l'Etat, à travers la Société Nationale de Gestion du Stock de Sécurité Alimentaire (SONAGESS), le Programme Alimentaire Mondial (PAM) et l'Organisation Catholique pour le Développement et la Solidarité (OCADES) ont procédé à la distribution et à la vente de céréales à de prix sociaux mais que faire de ces denrées s'il n'y a pas d'eau pour les faire cuire. La malnutrition est donc aux portes du Sahel et du Nord burkinabè car le manque d'eau et d'assainissement handicape tous les autres services sociaux de base.
A l'issue de cette étude IRC a élaboré une note de plaidoyer et accompagné les autorités locales dans un processus de plaidoyer auprès des autorités burkinabè afin de renforcer le nombre d'ouvrages d'eau et d'assainissement dans les zones d'accueil et penser à de nouvelles stratégies telles la réalisation d'AEP multi-villages (la nappe d'eau de Gankouna pourrait ravitailler toute la commune de Tongomayel ou encore le forage de Rambo qui a un débit de 20 m3 qui pourrait alimenter plusieurs villages). Il s'agit également au cours de ce plaidoyer, de faire entendre le cri de cœur des populations de Pobé-Mengao, Djibo et Baraboulé. Ces habitants demandent que la digue du barrage de Yamanga, qui a cédé en 2008-2009, soit réparée afin que les millions de mètres cubes qui sont actuellement perdus puissent recharger la nappe phréatique donnant la possibilité à l'ONEA ( Office National de l' Eau et de l' Assainissement) d'étendre son réseau de distribution.
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